« Par les enfers, n’allez-vous pas vous taire ?! »

La table de pierre se craquela sous l’impact de son poing dans un grondement sinistre. La pièce entière tourna alors son regard vers le chef des loups dans un silence malveillant.

« Si j’avais voulu entendre piailler de la sorte je me serais rendu dans un salon de thé ! Nous ne nous sommes pas rassemblés ici pour déterminer qui est le plus légitime à remplacer « l’étoile du soir », mais pour organiser notre avenir. Trop longtemps il a dicté notre conduite, trop longtemps il a bridé nos pouvoirs, mais aujourd’hui il n’est plus, et un nouvel avenir s’offre enfin à nous. La liberté pour tous les démons, le sang, la chair, le sexe, la mort, la torture, le jeu… Plus rien ne nous sera interdit si nous parvenons à poser la première pierre de notre avenir convenablement, et nous pourrons enfin nous mêler librement aux humains. Nous pourrons façonner le monde à notre image, et c’est la raison de notre présence ici, certainement pas pour satisfaire vos égos démesurés ! Néanmoins, et si c’est cela tout ce qui vous intéresse, il serait bon de ne pas oublier que si nous avons organisé ce putsch ensemble, ce sont les loups qui ont mené l’attaque les premiers. »

Un soulèvement de colère accueillit ses paroles, créant dans la vaste antichambre taillée dans la roche un froid glacial. Pourtant, la voix du loup s’éleva à nouveau par-dessus toutes les autres…

« Cependant… cependant ! … Allez-vous fermez vos gueules bordel ?... Bien !... Je disais donc, que CEPENDANT, je n’ai pas l’intention de m’imposer comme nouveau roi. Nous nous sommes soulevés ensemble et nous avons tous, plus ou moins, notre importance pour conserver notre mode de vie… »

Il était en effet de notoriété publique parmi les démons que les loups considéraient les tigres comme une caste inutile tout juste bonne à utiliser les compétences des autres pour survivre. Un peu comme une puce sur un chien, comme aimaient à le faire remarquer les deux autres clans, celui des serpents et celui des phœnix.

« Nous avons choisi la porte des enfers de Rio pour mener notre attaque et il s’avère que ça nous a plutôt porté chance jusqu’ici. Ce vieux casino-cabaret se révèle être une véritable source de profit en tout point. En quelques mois, nous avons réussi, en relançant la machine, à multiplier par cent nos capitaux. Chaque jour un peu plus de chair fraîche passe nos portes, des âmes à corrompre, des corps à façonner, sans compter que cette ville représente un véritable carrefour international qui nous assure de conserver notre anonymat. Aujourd’hui, ici, se mélanger aux êtres humains devient tout à fait envisageable. À croire que cette ville de vice a été créée uniquement pour accueillir les démons. Une ville où disparaître est monnaie courante. Alors qui pensera à nous accuser si nous y faisons notre marché ? »

Un sourire carnassier se dessina sur les lèvres du chef des loups. Enfin, ENFIN, il allait être libre de s’amuser et il était même prêt à parier qu’ils pourraient investir les grandes sphères de cette société pour y distiller ses volontés.

« Nous allons faire de très grandes choses ici, l’avenir qui s’ouvre à nous est prospère mes amis ! Je sens que 2015 sera une bonne cuvée. »

Déclara-t-il fièrement, bras écartés alors qu’un rire de sadisme pur le gagnait.

« Et que fais-tu des Gardiens ? »

Le sourire du loup se figea un instant avant de se tourner vers le phœnix qui avait osé lui gâter son plaisir.

« Les gardiens ou gardians ne sont plus une menace. Leur essence s’est distillée avec le temps, tout comme leur nombre. Il y a bien longtemps que nous n’avons pas eu de vraie bataille à mener contre eux. Ils ne sont vraiment pas une source d’inquiétude, je t’assure. »

Ce groupe, apparu en même temps que la chute des démons, avait par le passé décimé un certain nombre des leurs. Dieu s’étant assuré de leur donner les moyens de combattre ces fils et ces filles divins qu’Il avait pourtant engendrés.

« Pourtant, il se raconte que certains des nôtres ont déjà été attaqués dernièrement. Les loups ne sont-ils pas censés nous protéger de cette engeance ? »

Un grognement de pure fureur gagna alors le chef des loups.

« Fais attention à ce que tu dis phœnix, les loups n’ont jamais manqué à leur devoir quand bien même les tiens le faisaient. Si les gardians deviennent vraiment un problème alors nous le réglerons, comme nous l’avons toujours fait. Mais rien, pour l’instant, ne laisse présupposer d’une réelle menace les concernant ! Revenons-en à notre ordre du jour… »

Haussa-t-il le ton tandis que le phœnix se levait pour faire entendre son mécontentement.

« Nous devons encore décider comment nous souhaitons organiser nos décisions à présent. Je pense qu’un haut conseil des démons permettrait aux quatre clans de pouvoir s’exprimer librement, pour commencer. Nous avons été gouvernés jusqu’ici par une tête pensante et nous avons vu ce que ça a donné, voyons voir ce que l’on peut faire à quatre à présent. »

Certes ce n’était pas la solution idéale, il était évident que ce n’était pas l’envie qui leur manquait de se proposer comme nouveau roi des démons, mais l’équilibre qui les liait les uns aux autres était pour l’instant bien trop fragile pour supporter une telle autorité. Plus tard peut-être, quand ils auraient réussi à s’organiser avec cette nouvelle liberté mais, après seulement quelques semaines livrés à eux-mêmes, d’autres priorités primaient, notamment celle de faire leur place à Rio et de se fondre au mieux dans le monde des humains… C’est donc dans le silence que cette idée fut adoptée.

« Que les esclaves et les familiers entrent ! J’ai faim ! »

S’écria alors le chef des loups en frappant dans ses mains. Mettant ainsi un terme à cette première réunion au sommet.